« J’AI PAS LÂCHÉ L’AFFAIRE… »

Par: Yvan Amar

« Les Anglais n’ont pas lâché l’affaire » Voilà une expression que j’ai entendue hier au journal de RFI, ce qui m’a convaincu que cette façon de parler se répandait, gagnait des adeptes et se présentait de façon légèrement familière certes, mais acceptable par exemple dans un journal d’information.

Le sens est simple : cela veut dire je n’ai pas abandonné, je n’ai pas laissé tomber… Expression à la mode donc, entendue surtout dans un premier temps parmi les jeunes. L’expression, de toutes façons, est facile à comprendre, et l’image est transparente. Et il faut dire aussi que ce verbe lâcher est assez productif dans un langage familier. Et dans des significations assez différentes : « Il ne m’a pas lâché » peut signifier plusieurs choses : ou bien, il n’a pas cédé, il n’a pas cessé de me harceler jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il souhaitait. Ou simplement on peut dire ça d’un gêneur, d’un sans-gêne qui ne sent pas qu’il est de trop, et qui vous importune… ce qu’on appelait du temps de Molière un fâcheux. Et le français argotique contemporain recourt largement à ce verbe : lâche-moi ! c’est laisse-moi tranquille, ne m’ennuie pas, cesse d’être sur mon dos, de vérifier tout ce que je fais. L’idée c’est que tu m’étouffes, et que j’aimerais bien que tu me laisses un peu d’air pour respirer… Ce qui peut se décliner ou s’intensifier ; et en général l’expression devient de plus en plus forte et argotique à mesure qu’elle se décline : Lâche-moi les baskets, lâche-moi la grappe.
Notre formule de départ, « j’ai pas lâché l’affaire » est différente. On peut noter d’abord qu’elle est presque toujours exprimée à la négative… On dira peu « Il a lâché s’affaire, il a fini par mâcher l’affaire… » même si ça peut s’entendre. D’autre part, on a noté l’aspect très orla de la phrase. Elle n’est pas de celles qu’on écrit. Et si on l’écrit, ça tient presque de la transcription du langage parlé… la preuve : nous n’avons pas écrit « je n’ai pas… » mais « j’ai pas… »

Pourtant, ce qui est le plus troublant dans cette expression, c’est bien l’affaire… Qui veut dire quoi ? Le sujet, la chose, le problème parfois… le sens en est très général. Mais, ce mot fort vague évoque souvent un français assez soutenu. Son étymologie dit bien son premier sens : une affaire, c’est ce qu’on a à faire… donc ce qui vous occupe. Et le mot désigne souvent une situation… un peu compliquée, embrouillée… Se tirer d’affaire, c’est bien se sortir d’une passe difficile. Le mot renvoie également souvent à un conflit, ou même à une action en justice : l’affaire Untel, l’affaire Dreyfus. Une affaire est même parfois une situation délicate, illégale, scandaleuse : l’affaire pétrole contre nourriture… Mais, dans tous ces emplois, le mot renvoie presque à un euphémisme : c’est avec élégance qu’on reste dans le vague.
Pourtant, le même mot peut être utilisé de façon plus populaire : tout bonnement, l’affaire est ce qui vous concerne : « Mêle-toi de tes affaires ! » Et là, on est vraiment dans le langage familier.