BRADER
Par: Yvan Amar
Va-t-on brader EDF ? Oui pour les uns ; non pour les autres. Il s’agit, en tout cas, d’évaluer la façon dont le gouvernement va opérer la privatisation de cette société du service public, qui gère, vend, distribue l’électricité en France. Car, on le sait, c’est ça le sens du sigle EDF : électricité de France. Et EDF est sur le point d’ouvrir son capital, c’est-à-dire de se vendre par fragments, et par conséquent, d’entrer en bourse… ce qu’on appelle une privatisation, puisque des titres pourront être acquis par des investisseurs privés. Ce qui est, en gros, le mouvement inverse d’une nationalisation.Privatiser, soit. Encore faut-il que le bien public ne soit pas vendu au-dessous de son prix. Et donc que son propriétaire actuel, l’Etat, ne soit pas lésé. On peut donc se demander s’il est opportun de privatiser, si on le fait au meilleur moment, et dans les meilleures conditions. Autrement dit, si on n’est pas en train de brader EDF. Et c’est le mot-cliché qui revient sans cesse. Son sens est clair : céder à vil prix, au-dessous du prix. Et le mot ne s’emploie jamais que dans une intention polémique : si on le prononce, c’est pour accuser le gouvernement : personne n’irait se vanter de brader le service public ! On peut donc proposer divers synonymes : dilapider, gaspiller, solder, se débarrasser de… De toute façon, on dénonce ! Qui dénonce ? Si on est bien dans le vocabulaire de la polémique, ce vocabulaire n’appartient pas définitivement à une famille politique . La plupart du temps, c’est vrai, on entend parler de braderie lorsqu’un gouvernement, de tendance plutôt libérale, veut faire passer un opérateur du service public entre des mains privées. On est donc enclin à penser que brader est un mot des tribunes de la gauche, qui fustigent la droite. Mais, il y a un peu plus de quarante ans, où trouvait-on se mot ? Il émanait des rangs de la droite et de l’extrême droite qui s’insurgeaient contre la décolonisation : De Gaulle brade l’Algérie ! C’est donc un mot qui voyage dans les idéologies.
Il est vieux d’ailleurs, ce mot. On le trouve dès le XVème siècle en français, qui l’emprunte à la langue flamande : braden veut dire rôtir ! On est bien loin du sens actuel. Et si l’on suit le dictionnaire historique d’Alain Rey, on découvre que le mot a vu son sens évoluer : flamber, rôtir… puis brûler, laisser brûler… donc laisser perdre, gâter ! Le mot s’utilise en français, mais surtout semble-t-il, en français de Belgique, restant relativement proche de ses origines. Et capter par les brocanteurs et chiffonniers : brader, c’est casser le prix du marché et se débarrasser d’une marchandise à tout prix : liquider, en quelque sorte.
Et là, le mot peut être récupéré avec un écho tout différent, et plutôt positif : on organise des braderies… c’est-à-dire des opérations de soldes extrêmement avantageux pour les acheteurs, dans le but de se débarrasser des fins de stock.
Et on parle de plus en plus de braderie, soit quand un magasin ferme, soit même lorsqu’une foire convie tous les particuliers qui veulent faire un peu de place à vendre, sans vraiment de désir de profit, tout ce qui les encombre : la braderie n’est plus très loin du vide-grenier.