OUVRIR, ROUVRIR, RÉOUVERTURE

Par: Yvan Amar

« La Cour d’Assises de Paris rouvre le dossier d’Outreau ». C’est le titre qui fait la une du journal Le Monde daté d’aujourd’hui. Bon signe que les journalistes et les correcteurs de ce journal sont attentifs à la correction des mots qu’ils emploient. Un mot d’abord sur le contenu : on le sait, il s’agit de ce procès dont il est reconnu maintenant qu’il a été bâclé et que, probablement, il fourmille d’erreurs judiciaires. Certains condamnés ont fait appel, d’autres non. Il s’agit donc bien d’une affaire qui vient en appel, non pas d’un procès qu’on révise. La procédure n’a rien d’exceptionnel, même si le déroulement du premier procès (en première instance) a fait apparaître de nombreuses faiblesses de la part de l’institution judiciaire.
N’empêche : on « rouvre » le procès. On assiste donc à sa réouverture. C’est simplement là-dessus que je voulais insister, puisqu’il s’agit d’une particularité de la langue française bien souvent soulevée par les puristes ; quand on ouvre une nouvelle fois, on « rouvre ». Et non pas on « réouvre ». Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Il n’y a aucune raison particulière ou rationnelle à cet état de choses.
Et devant le verbe ouvrir, le préfixe re perd son e, alors qu’on aurait pu imaginer simplement qu’il allait s’adjoindre un accent aigu. Et bien non ! Et le nom commun qui correspond à ce verbe rouvrir ? C’est « réouverture ». Et non « rouverture » ? Pourquoi ? Pour la même raison ! c’est comme ça !
Alors, bien entendu, la tendance générale de la langue favorise le préfixe . Et on entend de plus souvent dire « rouvrir ». Bien plus souvent que « rouvrir » d’ailleurs. Au point que c’est devenu l’usage prédominant. Mais encore condamné par l’académie et l’académisme.
Comment expliquer tout cela, à défaut de pouvoir le justifier ?
Le préfixe « re » en français sert, entre autres, à exprimer la répétition : je pars… je repars. Je mange, je remange. Je bois, je rebois
Fréquemment, lorsque le verbe commence par une voyelle, on utilise non pas « re » mais simplement « r ». J’avale… je ravale. Et cela, même lorsque la voyelle est dite nasalisée : an, on, in… j’emplis… je remplis.
Et il semble que ce procédé soit le plus ancien dans la langue. Entrer et rentrer, emplir et remplir sont des couples qui existent depuis des siècles.
Mais souvent, et ce procédé est plus récent (oh… pas tant que ça d’ailleurs…), au lieu du simple « r », on utilise le préfixe « ré » : j’apprends, je réapprends. J’utilise, je réutilise. J’intègre, je réintègre. Et ces mots sont parfaitement formés en français, ne sont soumis à aucune critique…
Y a–t-il une différence de sens dans l’emploi du préfixe ? Parfois oui.
Parfois, on utilise « ré » quand il ne s’agit pas exactement d’une répétition du même acte : réactiver ne signifie pas activer pour la deuxième fois. Réagir n’est pas agir de nouveau. Soit.

Autre raison où le recours au préfixe « ré » est justifié par la précision du sens : il peut coexister avec le préfixe « r ». Et on se trouver face à deux verbes de sens différents : réanimer n’est pas exactement « ranimer ». Réajuster n’est pas « rajuster »… On se « rajuste » pour avoir l’air convenable après un baiser fougueux… si le voisin passe.
Et on « réajuste » le tir après avoir manqué sa cible, au tir à la carabine.
Mais, dans l’ensemble, l’emploi de « re » ou de « r » n’obéit à aucune loi précise. L’usage, juste l’usage !
Mais, dans le cas qui nous intéresse, on a affaire à une sorte de disjonction. On a deux choix différents. « Rouvrir » (et donc « rouvert » au participe passé : « le procès est rouvert ») et « réouverture ». Et l’usage spontané, bien sûr, va privilégier le procédé senti comme le plus courant à l’heure actuelle et aura tendance à aligner le verbe sur le nom.