POILU

Par: Yvan Amar

Que reste-t-il de nos « poilus » ? Six, nous dit-on. C’est bien peu… et c’est pas si mal, quand on pense qu’on appelle « poilus », les combattants de la guerre de 1914. C’est six-là sont centenaires, derniers survivants à avoir connu le feu de ce carnage. Ça fait donc longtemps qu’ils sont « poilus ». Puisque c’était déjà comme ça qu’on appelait les combattants pendant la guerre ; mais surtout les vétérans, ceux qui avaient l’expérience du feu et des tranchées, de la peur et du sang. Et il semble, d’ailleurs, que le mot ait surtout été utilisé à l’arrière… c’est-à-dire par les civils. Ce n’était pas exactement de l’argot militaire, mais du français familier qui désignait avec admiration et patriotisme les soldats du front. Soyons clairs : le mot ne date pas de la grande Guerre : il est présent bien avant, avec un sens voisin. Il signifie, d’abord, fort, courageux. Puis, soldat aguerri et qui n’a pas froid aux yeux.

Pourquoi ? Le mot de « poilu » qui évoque celui qui est couvert de poils… ou, en tout cas, qui en a quelques-uns… est porteur d’une imagerie naïve de la virilité. Le poil ne s’acquiert qu’à l’âge adulte (les cheveux ne sont pas appelés des poils). Et davantage chez les hommes que chez les femmes. Le mot renvoie à toute sorte de pilosité. Mais il est singulier, et n’est pas utilisé pour désigner toute une toison sur les joues, au-dessus de la lèvre supérieure, on parlera bien sûr de barbe et de moustache. Mais, on dit par exemple, de façon expressive « quand tu auras de la barbe au menton » pour signifier à un enfant ou même un adolescent, « quand tu seras assez grand pour avoir de la barbe ». On voit donc quel sens symbolique s’associe spontanément à ce mot, notamment au singulier : avoir du poil.

Et depuis longtemps, le poil évoquait la bravoure : l’expression « brave à trois poils » est sortie d’usage. Mais, elle désignait un guerrier intrépide chez Molière. On a prétendu qu’elle s’expliquait par la mode des mousquetaires, qui ornaient leur visage de trois pointes : barbe et moustache… Mais, hélas, l’explication ne tient pas : l’expression se rencontre à des périodes qui précèdent cette vogue.
Mais, on se souviendra également d’une autre expression ancienne : « avoir du poil aux yeux », qui signifie être énergique et résolu, comme le souligne Alain Rey dans son dictionnaire des expressions et locutions. Expression étrange, où probablement, l’œil est l’image de quelque autre partie du corps.

On terminera avec l’expression, encore bien vivante, « reprendre du poil de la bête » qui signifie reprendre courage, et même plus précisément, retrouver son énergie, sa confiance. Et, en général, on emploie l’expression pour souligner que ce moment de confiance succède à une période de doute, d’abattement, de dépression.