JEUX
Par: Yvan Amar
On entre dans une nouvelle saison de jeux avec les Jeux de la Francophonie qui se déroulent au Niger, notamment à Niamey. Et quand on a dit les Jeux de la Francophonie, on a tout dit ou presque. En tout cas, on a compris… qu’il s’agit d’une série d’épreuves sportives qui égrènent des disciplines très différentes les unes des autres, et font s’affronter des athlètes, ou des sportifs qui viennent de pays divers… De pays de la Francophonie pour ces jeux-là. Mais, ce peut être élargi au monde entier pour d’autres jeux…Alors qu’est-ce qui fait qu’on comprend si bien et si vite ? D’abord le pluriel : on ne dit pas le jeu… on dit les jeux… Ensuite, la majuscule à Jeux.. Vous me direz que ça, il faut le voir… L’oral ne permet pas qu’on s’en aperçoive… Soit ! Et puis le complément qui suit Jeux : de la Francophonie. Tout cela met l’expression en parallèle avec… les jeux Olympiques, bien sûr, dont le succès a été tel que la manifestation a fait des petits.
Mais, en français, dans cet emploi, le mot ne date pas de la renaissance des Jeux Olympiques, au tout début du XXème siècle, sous l’impulsion de Pierre de Coubertin… Puisque, dès le 12ème, on emploie le mot au pluriel, en ancien français, qui désigne des compétitions. On n’écrit pas encore jeux… mais on écrit jius. Alors pourquoi le recours à ce mot ? Pour bien montrer probablement que c’est .. « pour rire »… En tout cas que ce sont des activités gratuites… On lutte avec son adversaire… en effet.. mais pas parce qu’on y est forcé… et pas pour gagner sa vie ou la conserver : on n’est pas menacé pour de vrai. Si on lutte, on combat… en même temps qu’on fait semblant de se combattre, qu’on mime le combat… Vous avez raison de penser que la lutte est réelle, que le désir de l’emporter est certain… Mais, pourtant, l’occasion de cet affrontement est organisé... et son existence a quelque chose d’un peu arbitraire : on a décidé qu’on se battrait… Ce ne sont ni la nécessité (de manger, de survivre…) ni la guerre, ni le hasard d’une rencontre qui en sont l’origine. C’est donc décalé du réel… quelles que soient les capacités guerrières et la pugnacité des opposants : c’est un jeu… On est dans le faire semblant… Et cette signification est centrale dans le mot… ce qui explique probablement qu’il se soit épanoui dans certains domaines particuliers : celui du théâtre, par exemple… où là encore, on est dans le jeu parce qu’on fait semblant, parce qu’on simule, parce qu’on reproduit une situation qui peut-être aurait pu avoir lieu, mais qu’on invente, qu’on fait advenir « pour jouer »… Et c’est également ainsi qu’on peut comprendre toutes les activités qu’on nomme des jeux… jeux de cartes, d’échecs, de monopoly… jeux de société… De même, on s’abstrait du réel (on dit souvent qu’on joue pour se délasser, se changer les idées)… Et on reconstruit un réel… un peu irréel, une « partie », un échange régi par des règles qu’on décide. Alors, il y a bien un gagnant et un perdant… mais on peut se saluer, se serrer la main avant et après, puis fermer la parenthèse… Car c’est un peu entre parenthèses qu’on s’est agité. Une parenthèse dont on peut souhaiter qu’elle soit une façon de prendre du champ, de la hauteur par rapport aux affrontements réels, aux guerres réelles… Et peut-être de les conjurer parce qu’on les mime… et qu’en les mimant, on s’en moque un peu. Vous rêvez, me direz-vous… Oui sûrement ! Mais, les jeux servent aussi à ça !